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Steven Le Hyaric, l’ultra cycliste qui vit (de) ses rêves

Steven Le Hyaric a 35 ans mais a déjà vécu plusieurs vies ! Il est aujourd’hui aventurier, explorateur, conférencier.

Cycliste Elite, il renonce à passer professionnel après un championnat de France décevant, lors duquel son manager « l’abandonne ». Il devient responsable de la communication de sportifs de haut niveau et accompagne notamment l’équipe de France de triathlon aux Jeux Olympiques de Rio en 2016. Mais au contact de ces champions quasi professionnels, il découvre le sport business dans lequel il ne se voit pas continuer. Sportif accompli (ultra cycliste, ultra trailer, ultra triathlète) il part méditer au Népal en 2017, et décide de s’engager dans des projets personnels qui sauront le combler. Il traverse l’Himalaya à vélo sur le sentier du Great Himalaya Trail en 60 jours (5000 km à plus de 4500 m en portant son vélo sur le dos dans les montées). Il relie Paris à Dakar à vélo (3000 km en 10 jours) pour alerter sur le réchauffement climatique en 2019. Depuis notre rencontre, il a aussi vécu des aventures en duo, avec Perrine Fages. Ils se sont confrontés au lac Baïkal gelé, et au Kilimandjaro, plus grand sommet d’Afrique ! Et aujourd’hui il vient de battre le record de la course North Cape 4000, qui part d’Italie pour rejoindre le cap nord, à l’extrémité de la Finlande. Premier, en 10 jours et 10 heures, soit 414 km par jour. 15 jours après avoir traversé le désert du Namib (1ère étape de son défi, le projet 666 : traverser à vélo les 6 déserts les plus rudes de la planète (Arctique, Antarctique, Simpson, Gobie, Atacama, Namib), sur 6 continents, en 6 mois. On ne l’arrête pas !

Je l’ai rencontré le 3 Février 2019 à Paris pour partager avec vous son chemin. Je suis certain qu’il sera inspirant. Au-delà de ses performances physiques hors normes et de son engagement pour la planète, j’admire chez lui sa capacité à faire. A entreprendre. A concrétiser ses rêves. C’est un DO-ER.

YB - Bonjour Steven, j’aimerais d’abord comprendre d’où vient la flamme qui te donne cet élan…

SLH – Je suis habité par un truc qui est plus grand que moi. Je raconte toujours la même histoire. Sur mon enfance certainement, mon éducation. Je suis breton, j’ai été éduqué dans le 93 dans les quartiers populaires. Dans un monde où on te dit « on va essayer de s’en sortir », avant de savoir comment tu vas réussir. J’ai cette rage de vaincre, de réussir. Un papa dur, qui a assez bien réussi sa vie. Un mec qui s’engage qui a des valeurs qui a du cœur, et surtout l’énergie de faire. Au final, je crois que ma force vient de cette exemplarité, ce truc de ne rien lâcher. Tout me prépare aux défis que je me lance. Personne n’est jamais là où il est par hasard. J’essaie de faire ce que j’aime aujourd’hui avec les armes que j’ai. Ma bienveillance. Mon courage. Je pense sincèrement que ce sont mes plus importants talents.

Tu sais, je disais aussi à ma mère entre 5 et 8 ans, que je ne voulais pas devenir intelligent parce que quand tu es intelligent, tu sais, et quand tu sais tu es triste ! Je peux te dire qu’elle me regardait bizarrement. Et je n’avais lu les livres que j’ai lu depuis… Mais j’ai toujours eu besoin de me confronter à ce que j’étais, à ma propre réalité. A mes forces, mes faiblesses.

YB - Il y a aussi eu des étapes clés qui t’ont construit, ou qui ont corrigé ta trajectoire. Et la recherche de sens qui a toujours été une boussole pour ton parcours.

SLH – Oui, je n’avais qu’un seul rêve dans ma vie. Un seul vrai rêve qui comptait : être cycliste professionnel. Quand j’arrête ça… Imagine ! On dit que quand tu es athlète de haut niveau, tu fais le deuil d’une carrière sportive entre 5 et 7 ans. Moi je viens seulement de finir cette phase de deuil. J’ai vécu l’enfer. Tu arrêtes tout, tu n’existes plus. Le vélo c’était dur. Tu t’entraines 6 à 7 heures par jour, et tu perds tout le temps.. Combien de courses tu gagnes dans ta vie en fait ? mon manager arrivait à la fin de la course en disant : « les gars je crois que vous ne vous remettez jamais en question » ; alors que moi, pendant la course je n’arrêtais pas !! est-ce que lui s’était remis en question en fumant une clope le bras à la fenêtre ? Mais j’ai encore des potes dans le peloton pro. Ils ne se posent pas de question. Ils enchainent sans se poser de question. C’est juste quand tu commences à comprendre les choses que tu en as conscience finalement. Comme quelqu’un qui a conscience que manger tel aliment est mauvais, et bien il arrête d’en manger. Quelque chose que tu ne vois pas, n’existe pas. Ca a été ma première vraie claque.

Puis j’ai compris que quand tu es athlète de haut niveau, artiste, chanteur, comédien, humoriste, tu aimes faire rire les gens mais tu as besoin d’amour. Tu as un énorme besoin d’amour, d’affection. Tu as besoin d’exister dix fois plus que les autres… et donc tu oses. Mon talent ça a été d’oser. Mon énergie elle vient de tout ça. J’ai aussi pris conscience que nous vivions dans un monde avec des ressources limitées, dans un monde qui est peut-être un monde fini. Alors du coup, j’ai envie de vivre plein de trucs. J’ai envie de vivre au maximum. J’ai envie de transmettre aux gens. De tout vivre. Et tout vivre ce n’est pas tout acheter ! On confond avoir et être. Moi ça ne m’intéresse pas d’acheter, de détenir des trucs. Je n’ai pas de maison, je m’en fous. Je squatte chez des amis. Je n’ai même pas forcément beaucoup d’amis parce que je suis très sensible. Je m’attache beaucoup trop aux gens que j’aime, donc je suis vite déçu, et du coup je me protège de ça. Il y a un mec qui m’a posé cette question une fois dans une conférence : « est-ce que vous avez pensé à épargner ? ». Alors d’une, je n’ai aucun argent, voir moins que rien. Et de deux, j’épargne du bonheur j’épargne des moments j’épargne des souvenirs mais le reste je ne sais pas faire.

YB - Tu dégages une énergie folle..

SLH – Je ne sais pas si j’ai une énergie folle. Mon énergie vitale est limitée. Par contre j’utilise toute mon énergie vitale dans une seule direction. En ce moment, je me remets en danger. En salle de sport je reprends mes bases physiologiques de préparation. Je fais du yoga, des squats. Je me remets en question sur des trucs qui étaient soi-disant des acquis. C’est tous les jours qu’il faut se remettre en question. Alors je me prépare. Et je ne dis pas que c’est toujours facile.

Je suis allé rouler, encore 5 h ½ avant-hier. Je te promets, au bout de 10 minutes j’avais envie de faire demi-tour. Je n’avais pas envie. Ça n’avait pas de sens. Le seul sens que j’avais c’était d’aller boire le petit café que j’ai bu au bout de 50 km. C’est tout. Mais je l’ai fait pour ça. J’ai bu ce café, je suis reparti et miraculeusement ça a commencé à s’ouvrir ! C’est toujours la même chose, il faut avoir le courage d’aller voir ce qu’il y a derrière la montagne. Tu vois, savoir accepter ces petites souffrances, ces petites douleurs, ces petites prises de tête, pour dire en fait c’est cool… Au final j’ai vécu un truc.

Quand tu commences à prendre conscience qu’on a tous une responsabilité sur terre, une mission et que SURTOUT tu es capable de le faire, évidemment quand tu as le caractère que j’ai, ça te donne de la confiance, du pouvoir. Ça te donne envie de te réaliser. C’est un cercle vertueux.

YB - C’est aussi ce que j’ai vécu dans ma vie professionnelle. Je me suis lancé parce que j’avais perdu le sens. Quand tu vas bosser uniquement pour ne plus payer de loyer pour ton appartement à la retraite, tu te dis qu’il y a autre chose à faire ! Et finalement je retrouve beaucoup plus de forces dans cette situation, que dans celle que je connaissais avant !

SLH – Parce que c’est toi ! C’est une concentration sur toi. Tu reviens à toi-même. Qui tu es ? qu’est-ce que tu aimes ? qu’est-ce qui te fait avancer ? c’est une projection constante. Dès le plus jeune âge ont te met dans un tunnel : tunnel de la crèche, de la maternelle, de la primaire, le collège, le lycée, la prépa, l’école et là tu as un job. Mais à quel moment as-tu exprimé ta vraie personnalité ? Tout le monde veut faire la même chose. On veut tous ne rien faire et gagner beaucoup d’argent. Mais en fait, pour réussir quelque chose, il faut bosser à mort. Et quand ça n’a pas de sens… c’est difficile. Il faut donc trouver le sens qui saura te motiver au quotidien. Moi si je ne mettais pas de sens dans mon existence je serais presque mort. Mais on n’a jamais appris aux gens à avoir du sens.

Avec tout ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens, je vois comment mutent les sociétés. Je me dis que je n’ai pas le droit de faire semblant de vivre une vie qui n’est pas la mienne. Du coup je fonce. Mon kiff c’est de faire les choses, de vivre des moments. C’est juste de capitaliser sur des souvenirs. J’ai revu mon manager il y a 3 jours et il me disait : « j’ai l’impression que tu vas dans tous les sens ». C’est vrai. Tout le monde a l’impression que je vais dans tous les sens. Mais en fait je sais exactement où je veux aller.. J’aurais adoré avoir un papa aventurier. J’aurais rêvé que quelqu’un me raconte des histoires. Moi je veux en raconter parce que j’ai l’impression que les gens adorent les écouter. Les gens ont envie de découvrir, de rêver. Et je trouve ça vraiment rassurant.

YB - La notion de partage est donc hyper importante pour toi ?

SLH – Oui elle est essentielle. Quand je traverse l’Himalaya c’est pour rencontrer des gens… Avant, pendant, après la course. Parce que je veux tout partager. J’aimerais avoir des caméras à la place des yeux. Évidemment je suis en capacité de retranscrire hyper bien les choses. Des fois même plus grosses que ce qu’elles sont. Je vis des choses tellement fortes que j’ai toujours envie de les partager. Je vois tellement de gens malheureux, tellement de gens dans leur canapé, tristes. Ce n’est pas possible. J’ai un pote qui est en siège roulant. Tétraplégique. Il est en Antarctique là. En Antarctique ! C’est le premier qui va rouler sur l’antarctique. Sérieux ! Quand tu vois ça, tu n’as pas le droit de te plaindre. D’ailleurs j’ai compris que ce n’était qu’une perte de temps. Il faut accepter la réalité telle qu’elle est, qui tu es. Et travailler à, partir de ça. D’ailleurs si je reviens au partage, ce sera la vraie difficulté avec mon prochain défi : si je ne rencontre personne c’est possible que je sois en grande difficulté. Parce que ça n’aurait aucun sens. Ça ne serait que du stakhanovisme exacerbé, de l’égocentrisme… Tu sais -c’est nul de dire ça- mais quand j’ai fait de l’iron-man j’avais l’impression que c’était ça. Parce que je n’étais pas en capacité de faire vivre l’événement de le partager avec des gens. C’était comme le vélo. Sauf que j’étais tout seul.

YB - Sylvain Tesson dit que le drame de l’homme c’est d’avoir le choix. Quand tu es dans l’aventure tu regrettes ton confort et quand tu es dans ton canapé tu regrettes le vent sur tes mollets… Comment fais tu tes choix ?

SLH – La base de tout c’est de faire un choix et de le mener jusqu’au bout. Mais le propre de l’homme c’est de vouloir ce qu’il n’a pas. Tesson le dit très bien. Par contre j’ai aussi la certitude qu’il y a des choses écrites, ou qu’il y a toujours quelque chose derrière la montagne. Tu vois je te rencontre à Chamonix. Je venais de repérer le parcours trail de l’evergreen 258, je vis quelque chose de super, et j’avais envie d’être là. Tu fais des choix et je te rencontre là. Les choses elles se goupillent comme ça dans la vie. On est interconnecté. Et j’aurais pu faire ce parcours plus vite et je ne t’aurais pas croisé. Tout est comme ça dans la vie. Quand je pars dans l’Himalaya. Il y a des gens qui me disent t’aurais pu faire plus vite, moins long. Chacun voit ce qu’il veut dans la vie par rapport à ces filtres. Moi je me dis que j’aurais pu faire mieux. Rencontrer plus de gens. Être plus facile. Ne pas m’être fait mal à mon dos. On peut toujours. Par contre je l’ai fait ! tu parles de doer. Un doer c’est quelqu’un qui fonce. On peut dire il s’est loupé… Non non. C’est juste que dans d’autres sociétés (aux us par exemple) si tu ne t’es pas planté 3 fois on ne met pas d’argent dans ta boite. Moi je me suis crashé 1000 fois. Quand je vais m’entrainer sur une sortie de 300 km l’hiver je me prends une cartouche. Sauf que je me crashe et personne ne le voit.

YB - Mais ça se transforme en expérience ! quand tu te plantes, tu pousses.

SLH – Bien sûr. Tout est une expérience. Tout est bon à prendre. Il faut y aller. Par contre si tu sens que tu n’es pas sur le bon chemin, alors il faut ou tourner à droite ou faire demi-tour. L’Himalaya, je n’aurais pas fait autrement. Pars Dakar non plus. Si je l’ai fait comme ça c’est que je ne sais pas faire autrement. Mais avant l’Himalaya, j’étais en burnout, et avant Dakar je me casse l’omoplate 3 semaines avant de partir ! Les gens me disaient tu n’y arriveras jamais… L’aventure, c’est un mélange de grosse préparation qui te rassure et d’énergie folle pour dire, maintenant je me lance !! En fait, un aventurier est avant tout un entrepreneur et un entrepreneur est avant tout un aventurier.

YB - Bien sûr. Et tu fonctionnes par capillarité. L’énergie que tu donnes, certaines personnes l’accaparent pour vivre par procuration ton projet. Parce qu’elles n’auraient pas le courage de le faire. Parce qu’elles ont des attaches différentes des tiennes.

SLH – Certains disent, 666 mais quelle provocation ! Évidemment que c’est une provocation. Mais est ce qu’on ne vit pas dans un monde qui est de toute manière est amené à disparaitre tel qu’il est ? 666 c’est l’espoir. Moi je suis un grand rêveur, un grand idéaliste. Et ce projet pourra aussi devenir 777 si je traverse un océan, non ? Évidemment que je suis obligé d’être dans ce monde pour pouvoir le changer… si je ne voyais pas de perspectives je ne ferais rien. J’aurais pu rester au Népal. J’aurais pu faire comme plein de mecs qui ne reviennent jamais… parce qu’ils ne veulent pas voir le monde tel qu’il est. Le monde, c’est ce qui existe. Dans les méditations silencieuses que j’ai faites au Népal, on t’apprend ça. Il faut accepter les choses telles qu’elles sont. Quand tu es entrepreneur, tu n’as pas envie tous les jours. Il y a des moments où tu craques. « Il faut tellement se mentir pour croire qu’on va y arriver qu’à un moment tu y arrives ! » et ensuite tout le monde te croit ! Mais en fait tu t’es tout le temps menti ! Quand je monte le projet 666 je n’ai aucune expérience polaire ! Si je te dis ce sur quoi je réfléchis tu vas halluciner : je veux un vélo allongé, un vélo cargo où il y aura plus de pression sur la neige, une éolienne sur l’arrière de ma pulka parce que je vais trainer une luge derrière moi. Des composants du vélo qui résistent à -50°. Mais à quoi ça sert ? à pas grand-chose. Mais ça je le fais. Un entrepreneur c’est la même chose. C’est un combat. En plus dès que tu veux mettre de l’éco responsabilité, c’est un casse-tête !

YB - Ça je suis d’accord, je le vis au quotidien ! Toi tu as plusieurs complications supplémentaires. Tu te bats pour monter une aventure extrêmement imposante en termes d’ambition. Tu vas ensuite la vivre, avec une dimension physique hyper engageante. Et tu doubles ton pari d’un témoignage pour donner aux gens l’envie de changer ! C’est des enjeux complètement différents. Vouloir changer les habitudes des gens c’est un défi presque plus gros que ton engagement physique !

SLH – Ce qui arrive très souvent avec moi, c’est que je mets tellement de sens dans mes aventures (et je me mets tellement de pression avec ça) que le sens dépasse le déplacement. Et les gens oublient que le Paris en Dakar en 15 jours, même pour moi, ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile de faire 300 km par jour, de rouler par 45°, de marcher avec un vélo et un sac sur le dos à 4500 m ou 5500 m d’altitude. Ce n’est pas très humain mais en même temps je l’ai fait. Et ce sont des moments uniques. Ce n’est pas une course à être le pionnier, non. C’est juste un rêve de gosse qui se réalise ! J’étais tout là-haut, je roulais là-dessus. Je l’ai fait !! C’est ça qui est dingue. Tu vois je parlais de mon rêve de faire le tour de France. Finalement tu vois, je crois que je préfère faire ça ! Parce que c’est moi. Ce ne sont pas des milliers de mecs qui ont fait ce truc. Là c’est pur quoi ! waouh. Dans mes aventures, il y a 50 messages. Ça peut être la spiritualité, ça peut être le déplacement, la réalisation, l’apaisement, le dérèglement climatique, la réalité du terrain. Tout ! En fait l’aventure c’est une vie en accéléré. Je me pose tout le temps. Il y a des jours où j’ai des certitudes établies, une grande confiance en moi.. et elles sont cassées le lendemain ! Si tu notes, en faisant des tirets comme ça, tous les points clés que tu as vécu dans une journée, c’est super riche ! Tout est comme ça. Tout tout tout. Et c’est ça que j’aime. C’est rajouter de la vie dans la vie ! avec du bon sens.

Et il y a des gens qui arrivent qui essaient de me faire comprendre que je n’y arriverai pas et je doute quand même parce que c’est argumenté… En fait il n’y a que toi qui sait. Les autres ont un point de vue. Mais il n’y a que toi qui sait. Et personne d’autre ne croit aussi fort en toi.

YB - Ça ça fait drôlement écho aussi à ce que je vis. Cette nécessité de te forger une conviction forte sur la direction à suivre parce que c’est ton projet, ta certitude. Et la nécessité d’être toujours à l’écoute des remarques des autres parce qu’elles sont sensées.

Au fait comment appréhendes tu la notion de risque ? Je t’ai vu descendre des pentes de dingue au Népal, super étroites, super pentues, super longues…Tu franchis ici des limites que tu ne soupçonnais pas… Est-ce que ça fait partie de la flamme qui t’anime ?

SLH – Oui j’adore ça !! J’appréhende mes limites tous les jours. C’est pour connaitre cette frontière là que je me lance dans ces aventures. J’adore cette sensation ! Attention, j’ai 33 ans, ça fait donc 28 ans que je fais du vélo. 22 ans en compétition. Des descentes comme ça, quand je te dis que j’en ai mangé, c’est que j’en ai mangées. Et quand tu as 5 ou 6 ans, 8 ans, 10 ans et que tu es avec des mecs de 8 ans, 15 ans, 18 ans dans ton club de vélo parce que tu es trop fort, que tu fais 40 bornes au lieu de faire 20 bornes, que tu fais des descentes qui ne sont pas du tout faites pour un môme de ton âge, que tu te crashes, que tu recommences, que tu te crashes… et voilà ! c’est comme ça que j’ai appris. C’est la répétition qui crée l’expérience. Je ne suis pas inconscient. Je suis ambitieux. Je sais que je peux le faire. Tout m’a amené là. Dès fois je flippais, c’est vrai. Je criais parce que j’avais des sensations extraordinaires. C’est ça le kiffe. Ressentir des sensations ! Quand en as-tu ressenti pour la dernière fois, toi ?? Au Népal on est descendu pendant 7 heures !

YB - Justement, des descentes comme ça, tu n’as pas pu en faire ici ?

SLH – C’est pour ça que je me déplace ! pour vivre des trucs que je ne peux pas vivre ici. En vrai c’est exactement la même chose. C’est plus long, c’est tout. C’est comme un navigateur qui fait ses gammes dans le golfe du Morbihan. Quand il n’y a pas de vent. Mais apprendre la technique c’est ça l’essentiel. C’est revenir aux bases. Quand je coache quelqu’un c’est clé pour moi de revenir aux bases. Perrine -Fages- qui est venu rider avec moi de Lhassa à Katmandou dans l’Himalaya, qui rêvait de comprendre mon amour pour ce pays. Moi je lui disais. Concentre-toi sur ta pratique. Ça ne sert à rien de te plaindre sur les pierres. Ça ne sert à rien de te prendre la tête sur tout. Ça ne sert à rien de te bagarrer avec toi-même, avec les autres, avec les chèvres qui sont en train de te regarder innocemment. Ne te bagarre avec rien. Laisse. Concentre-toi sur ta respiration, sur ton pédalage, sur ta ventilation. Tu te couvres, tu te découvres.

YB - Comment tu vis ton aventure alors au final, si tu te concentres sur ta pratique pendant l’effort ?

SLH – Tu la vis, c’est évident… parce que c’est cette discipline qui va te servir à la mener au bout ! Lors du great Himalaya trail, j’avais un sherpa qui voulait faire le kéké des plages. Je lui répétais constamment de se concentrer sur sa pratique : il y avait des marches d’1,20 m qu’il descendait avec son vélo équipé de fourches de 110mm. Il a pété ses deux moyeux, une fois sa chaine, ses deux plaquettes de frein et au final il a dû rentrer à Katmandou 4 jours pour réparer son vélo ! Il fait ce qu’il veut. Mais moi j’étais toujours sur la route… Il ne faut pas se laisser griser ! Parce que la sanction est immédiate. A chaque fois que j’ai commencé à être grisé dans ma vie, direct il y a la claquasse ! Mike Horn le dit « je préfère vraiment les moments de souffrance intenses aux moments de bonheur, parce que je sais qu’après un moment de souffrance intense il y a un moment de bonheur. » C’est dur de penser ça ! Mais avoir su gérer l’aventure sur la durée, l’emporte parfois sur le plaisir immédiat ! Et être concentré au bon moment te sauve souvent aussi ! Finalement je pense qu’il faut vivre les choses avec un peu de recul. Moi si je vis les choses tel que je suis vraiment, avec l’intensité que j’ai à l’intérieur, avec mon hypersensibilité chronique… je meurs ! Je tombe amoureux de toutes les népalaises que je croise sur la route. J’ai envie de rester avec les vaches ou avec un donkey parce que j’ai envie de tout faire. Tu vois, si je m’écoute dans l’Himalaya, j’arrête le vélo je monte la montagne, et je fais ça 150 fois. Parce que je suis comme ça. Mais en même temps, j’avais choisi ce chemin ! Alors j’y suis retourné, à chaque fois. C’est ça la cohérence.

YB - Et la performance physique elle t’apporte quoi ? Moi par exemple je fais du sport pour conserver ma liberté. En me disant que demain, si je veux escalader une montagne, je suis toujours en capacité de le faire. Toi elle répond à la même logique ?

SLH – u sais, j’ai du mal à me regarder dans un miroir quand j’ai un gros bide, parce que je ne me sens pas bien…et pourtant, je n’ai jamais voulu courir après le corps parfait. Pour moi ce qui compte ce n’est pas d’être beau, c’est d’être fort. Parce que je sais qu’à un moment donné j’en aurai besoin pour mes aventures. Je me mets toujours en condition pour partir. C’est ça le sel de la vie. Pouvoir partir au pied levé. La vie c’est comme ça. C’est être prêt au quotidien. C’est avoir la capacité, à n’importe quel moment, de subir des difficultés mentales, physiques, qui peuvent totalement te chambouler. Et si tu as ça, tu as déjà cette structure mentale et physique pour encaisser… et c’est bon. Parce que faire du sport pour être beau, c’est cool. C’est très 2020. C’est même très 2010. Mais moi j’ai vu des mecs qui ne ressemblaient à rien qui étaient des machines de guerre. Un exemple ! Le seul qui ait traversé le désert de Simpson, c’est Louis Philippe Loncke. Louis Philippe, c’est un belge avec un gros bide. Ca ne l’a pas empêché d’être european aventurer of the year 2016 !! Ça ne veut rien dire.

YB - Et tes inspirations, c’est qui du coup ?

SLH – Wouuh. C’est un mélange entre Mike Horn, Sylvain Tesson, Mathieu Ricard, le Dalaï Lama, les philosophes des lumières et en même temps des mecs hyper bienveillants. C’est revenir à des choses simples. Des grands explorateurs, les grands aviateurs dans l’histoire. Des trucs qui me dépassent quoi.

YB - Tu en as besoin de ces ancrages-là ?

SLH – Oui et non. En fait, c’est là. Je me dis juste, comme les gens le disent dès fois pour moi, si lui il l’a fait c’est que c’est possible. Et dans la vie, il faut évidemment avoir des accroches. MAIS SE CONCENTRER SUR LES AUTRES QUAND TU NE TE CONNAIS PAS TOI MEME, CA NE SERT A RIEN ! Je me concentre aussi sur ce que j’ai déjà fait. Je prends de la confiance grâce à ma propre expérience. Des fois l’annoncer c’est plus l’angoisse qu’autre chose. Parce que quand tu es dedans, que tu es blessé, que tu as deux tendinites aux genoux au bout de 3 jours pour aller à Dakar, tu commences à te dire c’est chaud. Il y a des gens qui m’ont dit, il faut repenser le projet. Ca serait bien de se dire qu’on s’en fout en fait, qu’on va le faire en 60 jours. Ben non j’en suis resté là parce que je ne suis pas encore impotent. Peut-être qu’un jour ça viendra. Peut-être qu’un jour je dirai je fais une transat, j’emmène 20 gamins avec moi et on fait un transat et c’est eux qui tirent le bateau. Et on fait un truc de partage total. On s’en fout de la vitesse. Mais aujourd’hui j’ai encore besoin de gommer cet égo. Se prendre pour un aventurier c’est quand même un truc totalement égocentrique. C’est se dire que je suis un peu unique. C’est alors effectivement une filiation avec les gens que j’admire. Comme Tesson, comme tous. Parce que l’explorateur part tout seul ! Et qui va aller vérifier ce qui s’est réellement passé ? Moi j’essaye de tout montrer. Les gens peuvent venir, je suis ouvert à ça. Mais ceux qui ont passé du temps avec moi le savent. Je pousse quand même pas mal. Parce que j’en ai besoin. Mais c’est toujours riche, c’est fort, c’est intense. Oui je vis quand même des choses extraordinaires !!

YB - Tu sais qu’à un moment tu t’arrêteras ?

SLH – Oui oui. Je l’ai dit. Tu vois, en ce moment je prépare le projet 666. Je cherche des financements pour monter les 6 épisodes. Mais à un moment j’aurais juste envie de partir ! Juste envie de m’amuser ! Là ce n’est pas amusant. Je pourrais prendre ça comme un jeu, mais je ne m’amuse pas tous les jours. Parce que j’ai la frustration de tous les jours devoir quémander et prouver au monde entier que je suis super. Et finalement que je suis mieux que les autres.. C’est toujours dire : regardez-moi, comme je suis fort, comme je suis bien… J’ai décroché de ça il y a 4 ans, justement parce que je n’y prenais pas de plaisir. Et j’y reviens ! En fait quand tu as un gros projet tu es obligé de revenir au monde que tu as un peu rejeté. Ce monde capitaliste, pour aller chercher des financements… Ce n’est pas que je le rejette, c’est que je n’arrive pas ! Je ne sais pas parler d’argent, je sais à peine négocier. Je sais que j’ai une valeur médiatique. J’essaie de me vendre de vendre mes projets. Mais c’est lourd ! Tu vois, novembre décembre ça a été très dur, après qu’on se soit vu. J’ai toujours des creux au moment des fêtes parce que tu passes sur une autre année, il y a ce truc des familles, du temps qui passe et que tu n’as pas exploité, et je me rends compte évidemment que j’ai décidé d’être seul. Donc c’est plus dur. Mais je vois aussi cette espèce de contrainte : il faut avoir le sapin de noël, il faut la dinde, les boules… Et puis les incohérences : attention, pas de dérèglement climatique mais on a 50 colis Amazon Prime sous le sapin… C’est ce truc qui me révulse et avec lequel je dois composer…

YB - Moi je suis convaincu que c’est une question de calendrier. Entre ce que tu avais imaginé et le temps que ça va te prendre, il y a un écart. Mais tu vas y arriver ! Tu parlais de l’Alpsman dans un des tes films. Mais tu vois bien que sur une épreuve comme celle-là, tu connais des hauts et des bas. Mais tu repars. Là c’est pareil. C’est l’exemple de ta vie. Ton expérience te prouve ça. Si tu es mal en Décembre, tu vas repartir en Février.

SLH – La remise en question elle va parfois plus loin. Est-ce que je suis au bon endroit ? est-ce que je suis trop gros pour la France ? Est-ce que le projet est trop ambitieux pour un pays qui voit petit ? ce n’est pas du tout méchant. Ici il y a des grands entrepreneurs, mais ce ne sont pas forcément eux qui vont mettre de l’argent sur Steven Le Hyaric. Et pourtant le dérèglement climatique, c’est une urgence réelle. Ça bouge tous les jours. J’ai redit ça sur les réseaux sociaux récemment parce que j’ai eu une critique en rapport avec Canada Goose qui m’aide un petit peu. Ceux qui me critiquaient avaient des Porsche, du Nike, du Netflix sur leurs photos de profil. Et ils me reprochaient d’être aidé par Canada Goose qui fait encore de la vraie fourrure ? Qu’est ce qui est le plus sale ? Canada Goose qui utilise encore de la fourrure, que je ne porte évidemment pas ? C’est un monde de communication. Les petits renards, les coyotes, il ne faut pas les toucher. Les ours polaires, non plus. Mais par contre si c’est un requin ce n’est pas grave, parce que c’est méchant. On est dans un monde de com. Moi ça me désole, parce qu’on n’a pas tous le recul. Les gens ne se regardent jamais dans un miroir pour comprendre comment leurs habitudes les positionnent par rapport à l’environnement ! Moi je n’achète jamais rien, je ne mange pas de viande, je ne me déplace qu’à vélo et il y a des mecs qui me sont tombés dessus pour ça ! Ça m’a vraiment vexé.

YB - Oui mais Steven tu ne peux pas engager tout le monde derrière toi ! C’est ça la difficulté de tes projets. Tu parlais de prisme et d’expérience tout à l’heure. Il faut accepter, à partir du moment où tu es un homme public de ne pas pouvoir embarquer tout le monde derrière toi. L’important c’est que tu te sentes en cohérence avec tes valeurs.

SLH – Bien sûr. Mais c’était juste un truc d’éducation. Tu vois ce qui s’est passé quand l’Australie s’est embrasée. Les gens sont tristes parce qu’il y a eu des millions de petits animaux mignons qui ont disparu… Mais c’est quoi le truc le plus important à retenir ? Ce n’est pas la conséquence mais la cause ! c’est que l’Australie a l’indice fossile le plus dégueulasse du monde et qu’ils continuent à consolider leur industrie du charbon !! Mon objectif c’est juste de mettre des références dans la tête des gens et leur dire « prenez du recul, faites un pas de côté, regardez les choses différemment, et essayez de voir comment vous pouvez changer les choses à votre niveau ».

YB - Tu as raison. C’est de l’éducation. Mais c’est complexe ! Moi je vis cette contradiction de l’écologie dans le textile. Tu as un travail énorme de pédagogie en fait ! si tout le monde avait le même niveau de connaissance et qu’il y avait des vérités absolues ce serait plus facile.

SLH – Il y a toujours des gens qui t’aiment ou qui ne t’aiment pas. Mais là ce n’était pas ça. C’était, « je ne veux pas connaître tes arguments. Tu peux me dire ce que je veux, prouvé ou non, je m’en fous. Et je ne voudrai jamais savoir ». Le nombre de ces détracteurs est microscopique par rapport aux encouragements que je reçois. Mais il y a des gens qui ne veulent pas savoir. Parce que sinon on a tous envie de mourir, c’est un trop gros effort. Ca, ça me fait du mal. Parce qu’ils plafonnent au niveau intellectuel que j’avais à 15 ans et se coupent de toute perspective de changement. Mais, les gars, on a des trucs à faire ! Et on peut les faire ensemble. On se tape dans la main et on agit. Peut-être qu’on peut s’apprendre des trucs, se transmettre des trucs. Mais avoir des jugements de valeur aussi sclérosants… Je lutte déjà contre moi-même pour ça tu vois !

YB - Tu es un entrepreneur aventurier pédagogue !

SLH – Mais j’ai sollicité aujourd’hui à peu près tous les industriels. Si Patagonia me dit demain on te file 150000 €, dont 50000 € en fringues, ben on y va, c’est top. Mais ils ne me répondent même pas. Ils ne disent pas c’est dur, ce n’est pas le moment, on ne sait pas comment le monter…mais c’est bien ce que vous faites. Ils en reçoivent des milliers. Mais ça peut être quand même intéressant de regarder comment tu touches les gens ? c’est beaucoup d’énergie et mon énergie, quoi qu’en disent les gens, elle est quand même limitée.

YB - Mais tu portes un projet qui est super ambitieux Steven !

SLH – Je sais. On m’avait dit un jour, qu’il fallait que je baisse mon niveau émotionnel. Une psychologue m’avait dit ça. Mais elle ne s’était pas rendu compte que c’est ça qui me faisait vivre, voir survivre !

Pour suivre l’actualité de Steven et le soutenir dans ses projets, voici les sites sur lesquels il partage ses aventures !